Lucas von Zabiensky Mebrouk Dolega
19 août 1978-17 janvier 2011


Lucas Dolega © Matthieu Rondel

© Matthieu Rondel

Adolescent, Lucas partage sa vie entre l’Allemagne maternelle, le Maroc paternel et la France. Il parle et écrit plusieurs langues, n’aime pas trop l’autorité et la discipline scolaire trop rigide à son goût, il cherche sa voie. En 1998, alors en fac de lettres, Lucas, qui pense s’orienter vers le journalisme, découvre la photographie. C’est avec le vieux Voigtlander de sa mère que Lucas réalise ses premiers clichés.

Et c’est comme un déclic, à partir de là il sait ce qu’il sera : un reporter, reporter photographe.
En stage au Département de Photographie du Centre Jean Verdier à Paris, il s’exerce, apprend ; la pellicule, la couleur, le noir et blanc, le développement et le tirage dans l’obscurité des labos.
Il a le sens de l’observation et un goût sûr, en somme il a un œil. Sans doute l’héritage de son père qui avait fait beaucoup de photos dans sa jeunesse.
Lucas se rêve en Don Mc Cullin ou James Nachtwey, photographes qu’il admire. Pays lointains, conflits, raconter l’humain, un boitier en bandoulière, son choix est fait.
« Plus tard, il sera l’œil qui surveille le monde. Il ira regarder les hommes jusqu’au fond de leur nuit. » Cette phrase tirée des livres préférés de son adolescence, « Les aventures de Boro, reporter photographe », il en fera son leitmotiv.

Entre rêve et réalité, le parcours est long, difficile.
En 1999, il devient l’assistant d’un grand reporter, un premier pied dans le monde des «pros», puis il étudie le journalisme au CFPJ et par la suite, intègre le Nouvel Obs, mais à son grand dam, en tant que rédacteur. Très vite il proposera des sujets texte et photos à sa rédaction, pour finir par ne plus leur fournir que des photographies.

En 2002, ça y est, il réalise son rêve et part photographier en Israël et Palestine. Parallèlement, il voyage aux États-Unis, en Europe et en Afrique du nord, se penchant sur des histoires à caractère social, ici il documente la vie des enfants des rues, là l’immigration clandestine, enfin la séropositivité. En 2005, Lucas voyage en Colombie, il couvre le Bogotrax, premier festival de musique électronique d’Amérique Latine.

Là, il trouve ce qu’il cherchait – un peu d’aventure certes, mais il découvre surtout l’humain qu’il met en valeur, l’homme et ce qu’il a de plus intime, ses émotions. Dès lors il cherchera plus que jamais à dénoncer l’ignorance, le mépris, l’injustice. Il est là pour donner une voix à ceux qui n’en ont plus.

Cheveux au vent, son brun regard derrière l’objectif, Lucas, par sa photographie, donne avant tout de l’amour. Et il en reçoit en retour.
En 2006, Lucas a 28 ans, il fouille l’histoire de ses ancêtres polonais et découvre qu’au 14ème siècle, ses aïeux se faisaient appeler Dolega. Séduit par le patronyme, il en fera sa signature.

Lucas pour le prénom, Mebrouk Von Zabiensky pour le nom, Dolega pour la signature.
La même année, il intègre les agences EPA et EFE. Les années de galère à courir après les commandes sont révolues. A présent il est enfin photo-reporter à plein temps. Il suit l’actualité, couvre le news, avec toujours ce sourire éclatant aux lèvres. Avenant, toujours d’humeur joyeuse, ses collègues l’apprécient énormément. Passer quelques heures à attendre l’arrivée d’un chef d’Etat en sa compagnie est pour tous un plaisir.
Pour sûr, à la cour de l’Elysée, il préfère les nuits d’affrontements du CPE ; aux rencontres diplomatiques du Quai d’Orsay, il préfère la couverture des émeutes du sommet de l’Otan à Strasbourg.

La passion des débuts pour l’aventure, les limites sans cesse repoussées et le goût du danger se sont rapidement mués en combat. Un combat permanent. Il veut immortaliser les conflits. Il doit raconter. En 2008, il est au Nord Kivu, province du Congo ravagée par une guerre civile et une épidémie de choléra. En 2010 c’est à Bangkok que sa passion l’amène, pour la rébellion des chemises rouges. Toujours en lui cette volonté de témoigner, de dénoncer.
Aussi, est-ce tout naturellement qu’en janvier 2011 il s’envole pour la Tunisie, où le président Ben Ali vit ses dernières heures de dictateur.
Lucas n’a jamais eu l’intention de mourir, et pourtant, il a vécu intensément chaque moment de sa vie, comme si c’était le dernier.

Pour Lucas Dolega, la photographie de reportage n’était pas un métier, c’était sa vie. Le 17 janvier 2011, émeutes dans les rue de Tunis, Lucas succombe à sa passion. C’est ce qu’on appellera quelques jours plus tard la Révolution du Jasmin. Il a 32 ans.